(re)Lire "La peste" de Camus : une invitation de Pierre Héber-Suffrin
Une lecture pour temps de pandémie
En ces temps de confinement et d’épidémie, l’idée m’est tout naturellement venue – à moi comme à beaucoup d’autres paraît-il – de relire une histoire de confinement et d’épidémie : La Peste d’Albert Camus.
Je voudrais à mon tour vous offrir, bien modestement, un petit moment de lecture/évasion en partageant ici la belle sagesse et la belle leçon que nous livre Camus. Cela bien modestement, je le redis avec insistance, je ne prétends pas présenter un livre que beaucoup connaissent déjà, je prétends encore moins donner la moindre leçon de morale, je ne prétends que partager avec vous le plaisir que m’a donné cette relecture et les réflexions qu’elle m’a suggérées en vous donnant peut-être envie de le lire et sans doute, pour beaucoup d’entre vous, de le relire.
Une épidémie de peste s’abat sur Oran, alors petite sous-préfecture française d’Algérie. Rapidement la ville est confinée. Camus fait la chronique des événements qui se déroulent dans ce petit univers clos – dans ce « cluster » dirait-on dans l’abominable franglais d’aujourd’hui.
Camus focalise son récit autour de quelques personnages, dont je ne retiendrai ici que les principaux :
- Bernard Rieux, médecin de ville que l’on voit soigner les pestiférés, malade après malade tandis que son épouse se meurt dans un sanatorium loin de la ville close.
- La maman de Rieux qui entoure son fils de son affection.
- Tarrou, qui met sur pieds une organisation de volontaires essayant de lutter contre l’épidémie.
- Grand, un petit employé de bureau. Déterminé à écrire un livre absolument parfait, il passe toutes ses soirées à écrire et réécrire et corriger et recorriger, sans jamais être satisfait et sans jamais se lasser, la première phrase qu’il ne parvient pas à dépasser.
- Rambert, journaliste parisien qui n’était à Oran que de passage, ne se sent donc pas concerné et cherche d’abord à fuir la ville close pour rejoindre la femme qu’il aime.
- Paneloux, prêtre jésuite qui voit dans la peste une malédiction divine et prêche le repentir et la pénitence.
- Cottard, malfaiteur qui profite de ce que la police à d’autres urgences pour s’enrichir dans des affaires louches.
L’histoire est donc tout d’abord tout simplement celle d’une épidémie médicale qui frappe de manière bien inattendue, croît rapidement puis diminue lentement et enfin disparait, sans que les efforts des médecins aient changé grand-chose à son cours fantaisiste.
A ce niveau, et bien que l’histoire soit épouvantable – jour après jour le nombre de décès est annoncé et les hommes, des enfants mêmes, meurent dans d’abominables souffrances – et bien que le contexte actuel n’ait rien de vraiment réjouissant, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire souvent, voire parfois de rire franchement, tant les analogies avec ce que nous vivons aujourd’hui sont frappantes. Camus décrit en effet les autorités politiques (le sous-préfet en l’occurrence), hésitant, tergiversant, se retranchant derrière l’opinion de savants spécialistes et tardant à prendre les décisions nécessaires (confinement de la ville). Il rapporte les propos des Oranais, multipliant les « Je l’avais bien dit... », les « Ils auraient dû faire ceci ou cela. », les « Il est trop tôt, pour agir. », les « Il est trop tard, il fallait s’y prendre plus tôt. », voire les « Si c’était moi… » qu’on entend aujourd’hui aux six coins de notre hexagone, et sans doute sous toutes les latitudes et toutes les longitudes de notre planète. Camus nous montre les médecins débordés, épuisés et les escrocs qui profitent de l’occasion. Il évoque même une catastrophique pénurie, pénurie de sérum, pas pénurie de masques, mais vous conviendrez que la différence n’est pas bien grande. Je l’ai dit, je le redis les analogies sont frappantes ; avec le recul on découvre mieux combien Camus fut fin psychologue, fin sociologue et pour finir fin prophète.
Mais, on l’a souvent dit, un symbolisme se cache sous le titre du livre, la peste, c’est le Nazisme. Le livre fut publié en 1947 et les lecteurs ne s’y sont pas trompés.
Du coup, à ce second niveau, Rieux est clairement l’image du résistant, l’organisation de Tarrou, clairement celle de la Résistance que viennent rejoindre Grand, bien modestement mais bien courageusement ainsi que le père Paneloux quand il s’aperçoit qu’il a mieux à faire que de prêcher et Rambert qui découvrira qu’il est concerné, comme tout le monde. Quant à Cottard, c’est celui qui profite de la guerre pour s’enrichir au marché noir.
Mais il y a, derrière tout ça, plus profond encore, un autre symbolisme, philosophique celui-là. La peste, ce n’est pas seulement, premier niveau, la maladie, ce n’est pas seulement, second niveau plus profond, le nazisme et la guerre, la peste, c’est, troisième niveau plus profond encore, le mal en général, le mal sous toutes ses formes. La peste c’est la vie, avec ses souffrances, ses injustices, ses cruautés, la peste, c’est l’effroyable condition qui est celle de milliards d’hommes à laquelle n’échappent que bien peu de privilégiés bénéficiant d’une vie confortable dans un pays où ils sont libres. Plus profondément encore la peste c’est la vie humaine c’est ce que Pascal appelle « la misère » de notre condition d’animaux infiniment petits dans un univers infiniment grand et qui allons tous, cahin-caha vers une fin que nous savons inéluctables.
La peste, c’est la vie.
Et là, le livre de Camus prend une tout autre dimension, une dimension philosophique, c’est-à-dire à la fois une dimension métaphysique : il invite à réfléchir sur ce que nous faisons sur terre et à la fois une dimension morale : il invite à réfléchir sur ce que nous devons faire sur terre.
Chacun des personnages nous présente en effet, une façon d’agir et réagir dans ce monde de pestiférés où nous sommes, et chacun constitue comme une proposition de vie par rapport à laquelle Camus nous invite à nous situer.
- Il y a - c’est un choix de vie – des crapules qui exploitent la misère humaine, le personnage de Cottard n’est malheureusement pas imaginaire.
- Mais il y a aussi, à l’autre extrémité du panel, des saints comme Tarrou, saint et même martyr car il en mourra, mais saint sans Dieu et peut-être d’autant plus saint. Horrifié dans sa jeunesse en entendant son père procureur réclamer la peine de mort il a pris la résolution de ne pas tuer, de ne transmettre aucune peste, de faire de son mieux pour ne jamais nuire aux hommes et pour, au contraire, les secourir.
- Il y a ceux, comme le père Paneloux, qui d’abord tentent de se résigner et veulent chercher dans l’au-delà une raison profonde à ce qui se passe sur terre, qui veulent voir dans la peste – dans la misère humaine donc - un châtiment divin. Mais Camus tient à nous montrer que la position n’est pas longtemps tenable et Paneloux, après avoir vu mourir un enfant, devra bien reconnaître que cet innocent n’était coupable de rien. Aussi finira-t-il par comprendre qu’il y a mieux à faire que prêcher le repentir et par participer à l’organisation caritative de Tarrou.
- On ne peut pas non plus nous montre Camus, prétendre comme le fait Rambert, se désintéresser de la chose, se réfugier dans un bonheur personnel égoïste. Nous sommes tous concernés, et Rambert – partagé entre son aspiration bien légitime au bonheur, entre son désir de rejoindre son épouse restée éloignée et sa responsabilité d’homme – finira aussi par rejoindre l’organisation de Tarrou.
- Certes l’action humaine est toujours imparfaite, mais il faut le savoir et s’en contenter, et Grand, le perfectionniste, tellement perfectionniste qu’il en vient à ne pas pouvoir aller plus loin que la première phrase de son livre, viendra lui aussi mettre sa modeste compétence au service de l’organisation.
- Tout le monde ne peut pas être un saint – avec ou sans Dieu – rien de ce que nous faisons ne sera jamais parfait, mais le mieux, est de faire comme Rieux qui à la fin du livre s’avèrera être le narrateur et donc le porte-parole de Camus. Le mieux est de faire son boulot, son petit boulot à sa petite place, obstinément. C’est-à-dire, concrètement, pour lui médecin le mieux qu’il ait à faire est de soulager, tenter de soigner, malade après malade, sans grand espoir, sans prétendre changer le cours du monde, mais obstinément, comme Sisyphe poussant son rocher, avait dit Camus dans un autre livre quelques années auparavant.
- Et puis il ne faut pas oublier la tendresse, l’amour, la chaleur humaine, c’est ce que nous dit pour finir Camus en introduisant le personnage, discret mais essentiel de la maman de Rieux, qui sera là pour caresser maternellement le visage de Tarrou mourant.
De beaux débats que je n’ai fait qu’évoquer, sur la peine de mort (Tarrou), sur la religion (Paneloux), sur le bonheur (Lambert), sur l’amour (la maman de Rieux), sur notre devoir d’homme (Rieux)
Une belle réflexion sur la condition humaine…
Un beau livre.
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