"Crimes et sentiments"
atelier écriture novembre 2023. Texte écrit en 50mn, devant incorporer les mots ci-dessus
Auteur: NILSO
Je tente le bobard. Parfois, le bobard, plus il est gros, mieux ça passe. Mais Paul me regarde, étrangement. Oui, j’étais dans la maison. Non, je n’en suis pas parti. Bah oui, pour attendre…. Mais au travers de ses yeux mi-clos, je suis inquiet qu’il paraisse dormir. Pas longtemps.
-Quoi, tu attendais quoi ?...
Et lui n’attend pas la réponse : brutalement, d’un revers de main, confondant ma tête avec une balle de tennis, il me frappe le coin de l’œil et la tempe. Je n’ai pas le temps de ressentir la douleur fulgurante qu’il me balance un uppercut dans l’estomac. Un grand vide me parcourt les tripes et mes poumons avides d’air, me brûlent, se figent, me paralysent.
Alors Paul marque une pause, presque tranquillement, puis ricane :
-Maintenant, c’est moi qui attends. Allez, tu peux cracher !...
Oui, je le savais, j’avais joué ma liberté, et je savais bien que Paul et ses sbires ne me lâcheraient pas tant que je ne leur donnerais pas satisfaction. Soit : le fric.
Un signe de tête, et les sbires s’approchent de moi, le plus gros tient une corde en nylon à la main, m’attachent d’abord les poignets, me fixent les bras au dos et me ligotent à la chaise. Pour faire bonne mesure, la chaise est liée solidement aux tuyaux de chauffage. Je sens quand même un peu de mou au niveau des poignets, mais en remuant, la corde strie mes poignets. Je retiens un cri.
Là aussi, je le savais, si je dis toute la vérité, il ne faudra pas cinq minutes à La Tignasse pour me transformer en épave. Ce qu’ils veulent, en premier lieu, c’est savoir où moi, Khaled, j’ai planqué le flouz, les cent cinquante plaques de la vente :
- Au 6, de l’avenue Richard P., comme on avait dit, dans le garage.
- Non, rien, nada. Alors, il a disparu où, le flouz ? Explique-nous, qu’on comprenne bien, j’ai le temps…
La batte de La Tignas’ siffle et percute mes tibias simultanément. Ça émet un craquement. Je suffoque. L’acuité de la douleur me laisse la bouche grande ouverte, sans un mot qui veuille en sortir, juste une sorte de sifflet silencieux. Mes tibias sont cassés…
- Putain de batte !
C’est La Tignas’ qui hurle. Il mitraille de ses yeux furibards son outil, qui ressemble à un boomerang déglingué. Je le reconnais bien là : sa batte, il a dû l’acheter bon marché, peut-être d’occasion, au Bon Coin de la pègre.
- Deux pour le prix d’une, qui disaient !
Voilà, c’est ça. La pègre est pingre. Elle n’a pas l’habitude de payer. Ouf pour mes guibolles.
Je le vois encore flou, et je lève le bout des doigts qui ont encore le droit de remuer. Il comprend, je veux lui parler, seul à seul. A ce stade de la conversation, je suis encore sensible à mon intégrité physique. Les sbires sortent. Je vais lui raconter… Je vais sans doute m’en sortir momentanément, mais me prépare un album d’emmerdements préoccupants pour la suite. Il va falloir en tourner des pages, même si elles collent un peu…
Quelques années plus tard…
Ces évènements pitoyables de mon existence passée me hantaient tous les jours. Mais mon mensonge mémorable m’avait cependant sauvé. J’étais passé par une période de régression épouvantable, paralysé par des crises d’angoisse noires. J’avais su mentir, mais j’avais aussi trahi. Cette trahison, je voulais à tout prix l’oublier, l’effacer. Mais la nier, était vain. Je m’étais comporté en vil opportuniste.
Puis j’étais sorti de prison. Sans savoir où aller, au plus fort de ma dépression, j’étais retourné chez une vieille tante, comme dans une parcelle qui subsistait de mon cœur d’enfant aimant. Et c’est là qu’un évènement transforma ma vie. Je rencontrais Julie, qui accordait l’aide quotidienne dont avait besoin la vieille femme. D’où venait-elle, je l’ignorais, mais elle me racontait sa vie en insistant sur sa perception psychologique, tirant sur les fils des évènements, les uns après les autres , et retissant des liens inattendus avec son passé douloureux , mais qui me restait mystérieux . Elle était aussi très active socialement, avait son petit groupe de « camarades » (qui c’étaient, ceux-là ??), se lançant dans des discussions interminables, voulaient refaire le monde : invariablement, ça se terminait par : « on va faire une pétition », puis, « qui signe le premier ? ». Ils étaient très motivés, allaient sur les marchés, improvisaient des meetings.
Toujours sympathiques avec moi, me fichant la paix.
Je restais sur ma réserve. Julie ne se lassait pas : elle était convaincue que mon inadaptation au monde dit « normal » (selon les normes de qui, hein, dis-le-moi, si tu le sais ?) ne pouvait se faire qu’en rassemblant tous les pans de mon histoire, bon, il y avait de quoi faire. Elle n’avait jamais supposé qu’elle n’y parviendrait pas : elle m’aimait, moi, Khaled, quoiqu’il advienne. C’est ce dont j’étais persuadé. J’avais presque fini par me pardonner.
Mais le Destin en a décidé autrement. Pour moi, il s’abattit comme une masse qui me fit à nouveau vaciller. Julie s’était éprise d’un syndicaliste ambitieux, qui vira rapidement vers une carrière plus politique. Naïvement, je ne m’en aperçu pas tout de suite. Je sais bien que dans ces contextes-là, le premier concerné est souvent le dernier informé, mais le coup fut rude. A cette époque, je trainais dans les rues des faubourgs de la ville, morose, ne sachant que faire, que dire, quand l’ombre d’une silhouette connue m’apparut sur les façades d’en face, entre deux camionnettes en stationnement. Brutalement, je m’arrêtai, puis courus vers l’angle de la ruelle, mais ne vis ni chat, ni chien, ni celui que j’avais cru reconnaitre, l’espace d’une demi-seconde, la Tignas’…
Khaled va-t-il renouer avec ses démons passés ? Si vous tenez à le savoir, lisez notre prochain numéro de « Crimes et Sentiments », semaine suivante.
Brèves de confi-potes: "In My Room"
nées de la volonté de laisser une trace de cette période exceptionnelle...en rédigeant tous les...
Brèves de confi-potes: "Chambre à air"
J13: J’ai toujours rêvé d’être un homme d’intérieur.On m’avait dit extériorise-toi. Va prendre...
Compos de confi-potes: "Ode à la vie"
Texte: Romy ColletMusique et interprétation: Yvon GordPhoto et sculpture: Olivier LebigrePrivés...
Brèves de confi-potes: "Epi ça rime à quoi?"
Epi quoi? épidémieEpi de blé ,source de vieEpi pour pas pandémie?C'est pareil vous l'ai-je...
"Tu laisses ou tu prends"
Tu vis dans une bulle, dans un décorRempli de papillons, de poussières d’orComme Cendrillon, une...
Brèves de confi-potes: "Se jeter à l'eau"
Photo: Sandra DimbourJ21 : « se jeter à l’eau »Comment savoir ? Ce n’était pas la première fois...