le perchiste

Il chevauche la piste à grandes enjambées, la martèle d’un rythme quasi-géométrique, tel le chevalier haumé de notre enfance. Il est comme armé d’une lance qui devrait pourfendre l’adversaire au-delà de la lisse. Adversaire invisible, immatériel : à la perpendiculaire de sa perche, suspendu dans l’éther, un fin fil aluminé fend de noir le soleil, léger tube d’aluminium délicatement posé par une fée sur deux longs mats fichés dans le sol. Ce sol dont va s’extraire le perchiste.

Il l’ignore. Mais avec la même précision, par une gestuelle maintes fois répétée, il écrit dans l’espace la figure complexe d’un idéogramme chinois. Bloquée abruptement dans son support, la courbe de la perche projette l’homme comme l’accent qui domine le caractère, et son corps s’enroule presque amoureusement, sans l’effaroucher, autour de la belle horizontale, et l’image de son corps en suspension reste dans nos pupilles fascinées.

« Ô temps, suspends ton vol » dit le poète, avant que le perchiste ne redevienne homme et, quittant le zénith, chute moins divinement sur une grosse masse matelassée.

Mais le regard est toujours fixé vers le ciel. Et tous observent, comme lui, anxieux, le tressautement de la belle horizontale, qui se refuse à le rejoindre sur la terre des hommes.

Alors le perchiste, de ses deux bras levés, convoque le ciel et la foule, et l’ovation qu’il reçoit brille et roule en deux perles de joie et d’émotion.

Nicolas D.